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Dans cet article, je vais beaucoup décrier la langue anglaise. Pourtant, ce n’est ni après les Anglo-saxons que j’en ai, ni même après leur langue. J’aime l'anglais, c’est une langue que je pratique avec plaisir depuis l’âge de 11 ans. Ce qui me fait partir au « combat », c’est l’hégémonie de la langue, quelle qu’elle soit, et toutes les injustices qu’elle implique. Si j’avais fait cet article quelques décennies auparavant, cela aurait pu être la langue française qui aurait été critiquée.
D’autre part, je vais faire l’apologie de l’espéranto. De la même manière, j’ai choisi l’espéranto pour plusieurs raisons que je vais énumérer, mais n’importe quelle langue construite dans le but de faire s’entendre les différents peuples peut faire l’affaire (je pense par exemple à l’ido). L’espéranto a cependant les avantages suivants :
La langue anglaise a toujours été très présente dans mon métier, l’informatique. Les principaux langages informatiques sont nés outre-atlantique, et il en va de même pour le réseau des réseaux. Aussi, la nécessité de connaître l’anglais s’est très vite faite sentir, mais j’aime les langues et cela n’a jamais été un problème pour moi.
Pourtant, depuis quelques années maintenant, j’ai l’impression que l’anglais essaie de plus en plus de s’imposer dans notre vie de tous les jours, au dépens de notre langue nationale. Combien de mots anglais employez-vous, parfois tous les jours, alors qu’un équivalent français existe ? Dans mon métier, c’est encore pire, en particulier dans mon entreprise, où les logiciels que l’on développe sont faits d’abord en anglais, et parfois traduits ensuite en français ! Il arrive que même entre nous, nous ne connaissions plus certains termes français et n’utilisions donc plus que les termes anglais.
En fait, j’aime beaucoup parler anglais, mais je ne veux pas qu’on me force la main. J’ai donc commencé à me « rebeller » contre cette utilisation « abusive ». J’ai proposé à mon entreprise de nous enseigner l’espéranto, mais celle-ci, entreprise française, née à Annecy, a décidé de vendre son âme et de faire de l’anglais sa langue officielle. Aujourd’hui, alors même que rédiger des spécifications en français pour des français est toujours une source d’erreurs et d’incompréhensions, on nous demande de rédiger des spécifications en anglais pour des Roumains ! Pour information, selon un rapport de l'assemblée nationale sur la francophonie en Europe de l'Est datant de l'an 2000, 52% des élèves roumains de primaire choisissent le français comme première langue étrangère.
Les Anglo-saxons ont réussi une chose surprenante, c’est de faire croire au monde entier que tous les autres parlent leur langue. En fait, si certains d’entre nous ne parlent pas ou peu l’anglais, ils auront l’impression d’être isolés, d’être parmi les rares dans ce cas. Or, ce postulat est complètement faux. L’anglais aujourd’hui n’est accessible qu’aux milieux aisés. Son apprentissage correct (niveau baccalauréat) est estimé à environ 1500 heures (pour un Français). Tout le monde ne peut pas se l’offrir !
L’anglais est pourtant devenu une langue de communication « internationale » de facto, même si je n’aime pas employer ce terme « internationale » pour une langue vernaculaire. De nombreuses personnes croient la parler. Pourquoi « croient » ? Simplement parce qu’en fait, ils la parlent tout juste assez pour se faire comprendre dans les cas basiques, mais ne la connaissent pas suffisamment pour en saisir toutes les nuances…
En fait, l’anglais est générateur de nombreuses injustices aujourd’hui. De plus en plus d’organisations en exigent une maîtrise parfaite, accessible uniquement aux anglophones de naissance, ce qui constitue pourtant une forme de discrimination illégale dans la plupart des pays. C’est le cas de certains postes à l’ONU, ou encore mieux, de tous les postes à la Banque Centrale Européenne qui a fait de l’anglais son unique langue de travail… Alors même que l’Angleterre a refusé d’adopter l’Euro !
Et je ne parlerai pas ici des nombreuses anecdotes que l’on peut trouver dans toutes les entreprises où des décisions importantes ont été prises lors de réunions en anglais alors que tous les participants ne comprenaient pas la langue, ou des avantages qu’ont les vrais Anglo-saxons lors de négociations qui ont lieu dans leur langue…
Je pourrais même ajouter « grâce » à l'actualité que l'anglais peut tuer. En effet, nous avons pu voir il y a quelques temps que des personnes ont été irradiées (dont au moins une mortellement) dans un hôpital à Épinal, parce que le logiciel qui pilotait l'appareil de radiologie avait été mal paramétré. Or, ce logiciel est en Anglais. Ne croyez-vous pas que sans cette hégémonie de l'anglais, le fournisseur aurait fait l'effort de fournir une traduction de son produit ?
Ma rébellion est devenue un combat lorsque je suis tombé, plus ou moins par hasard, sur le rapport Grin. Ce rapport a été demandé par la France (le Haut Conseil de l'Évaluation de l'École) afin d’orienter l’éducation des langues dans le pays dans les années qui viennent. Le nom de ce rapport est en fait le nom de son rédacteur, François Grin, professeur d'économie à l'école de traduction et d'interprétation (ETI) de l'université de Genève et directeur adjoint du service de la recherche en éducation (SRED) du département genevois de l'instruction publique. Avant d’aller plus loin sur ce rapport édifiant, je tiens juste à ce que vous sachiez que, après l’avoir reçu, le HCÉÉ a immédiatement pris la décision… De ne strictement rien changer.
Ce rapport étudie trois scénarios d’éducation possibles : le « tout-anglais », le « multilinguisme » et l’espéranto. En 125 pages, François Grin nous explique quelle a été sa méthode pour étudier les scénarios et, à force de démonstrations extrêmement concrètes, essaie de tirer une conclusion sur le meilleur scénario applicable à la France, avec une vision européenne.
Le choix d’une langue à apprendre n’est pas anodin. En effet, si l’on peut plus ou moins estimer la rentabilité de la langue (possibilité d’avoir des retours sociaux et financiers en l’apprenant), cet apprentissage a également un coût. Ce coût dépend directement du nombre d’heures nécessaires pour acquérir un niveau « suffisant ».
Mais il peut y avoir d’autres coûts qui s’ajoutent à cela, et en particulier, le coût du « transfert » lié à l’hégémonie d’une langue. Ce transfert représente tout l’argent dépensé par les différents pays au profit du pays de la langue hégémonique. Il s’agit plus particulièrement des traductions, des dictionnaires, des séjours directement ou indirectement à but linguistique, etc.
Je vous invite à consulter le tableau en page 96 du rapport Grin et ses explications. Ce tableau à lui tout seul résume, à mon avis, l’ensemble du rapport. En faisant plus de recherches, vous pourrez même constater que la Grande-Bretagne gagne plus de 17 milliard d'Euros (plus de 1% de son PIB) chaque année grâce à l'hégémonie de l'anglais.
Quel que soit le point de vue sur lequel on se base, le scénario du « tout-anglais » s’avère être systématiquement le plus catastrophique. Même en terme d’efficience, ce scénario montre vite ses limites !
D’un point de vue sociologique, le meilleur des scénarios s’avère être le scénario du « multilinguisme ». C’est celui qui permet le mieux de « ressentir » la diversité culturelle de l’Europe. Mais il souffre de nombreux inconvénients tels que la difficulté de communiquer en masse entre européens, la nécessité de mettre des gardes-fous pour que cela ne devienne pas du « tout-anglais ». Ce scénario est celui officiellement choisi par la France. Je dis officiellement, car dans les faits, aucune mesure d’accompagnement n’a été prévue pour éviter la dérive vers le « tout-anglais ». On peut donc considérer que ce choix fait par la France est une pure hypocrisie.
D’un point de vue économique, le meilleur scénario est celui de l’espéranto. Ce scénario, applicable uniquement conjointement avec d’autres partenaires, pourrait permettre de doter l’Europe d’une « langue commune » (sans supprimer les langues nationales). Mais aussi et surtout, elle permettrait à la France d’économiser plus de 5 milliards d’euros chaque année, et à l’Europe, 25 milliards ! Je vous laisse imaginer la somme que cela représente, et toutes les façons dont on pourrait l’utiliser… C’est à ça que je pense, lorsque je vous parle de l’importance de ce combat.
J’ai toujours été surpris de constater à quel point les dominés se sont résignés à leur situation et sont si difficiles à convaincre de l’injustice qu’ils subissent. Combien de fois me suis-je entendu répondre : « c’est comme ça », « c’est normal », « on n’y peut rien ».
Ces réactions me font comprendre ce que l’on m’a appris sur l’esclavage quand j’étais petit, à savoir qu’il y a deux siècles, les esclaves étaient résignés, et que la plupart d’entre eux refusaient catégoriquement de se faire libérer, parce que « c’est comme ça », « c’est normal », « on n’y peut rien ».
Je crois que l’on peut aujourd’hui prendre au pied de la lettre la citation de Mohandas Karamchand Gandhi (Hind Swarâj, ch. 18) : « Donner à des millions une connaissance de l'anglais, c'est les rendre esclaves. »
Stéphane Veyret, novembre 2006
« L'enseignement des langues étrangères comme politique publique », par François Grin : http://cisad.adc.education.fr/hcee/documents/rapport_Grin.pdf
Article de l'encyclopédie Wikipedia sur François Grin : http://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Grin
« Le défi des langues, du gâchis au bon sens », par Claude Piron : http://claudepiron.free.fr/livres/defilanguesbonsens.htm
Informations sur l'espéranto : http://esperanto-france.org
Leçons d'espéranto : http://ikurso.esperanto-jeunes.org